La décoration d’une maison, d’un restaurant, d’un hôtel, doit avoir son caractère. Je veux dire que chaque pièce doit avoir une physionomie qui va de pair avec ce que l’on y fait. Il me semble que l’art trouve ainsi une tâche digne d’être accomplie. L’Art s’introduit intimement dans la vie, dans nos attitudes, dans nos besoins. Il me semble que c’est une tâche digne d’introduire dans la Vie un grand raffinement, une nouvelle élégance toute italienne, de l’hygiène, du bien-être, de la gaieté et de l’optimisme.
ARNALDO GINNA, FUTURISTA extrait de L’Italia Futurista, année 1, n° 12, Florence 15 décembre 1916
La contribution d’Arnaldo Ginna s’inscrit bien dans ce contexte et documente comment, après la rédaction du manifeste Ricostruzione futurista dell’universo (Reconstruction futu- riste de l’univers), signé par Balla et Depero, non sans les influences de Marinetti, Prampo- lini et d’autres protagonistes de la période post-Boccioni, publié le 11 mars 1915, l’extension de l’esthétique futuriste à la dimension de la vie quotidienne a pris un caractère global, en envahissant et s’appropriant tous les aspects et tous les lieux de la vie qutidienne. La pluralité des interventions qui concerna toute la dimension fonctionnelle et décorative de l’habiter et du vivre n’exclut pas le secteur du mobilier et de la décoration d’intérieurs dans son évolu- tion vitaliste-créative. Beaucoup d’expériences réalisées à l’époque doivent être considérées aujourd’hui comme de véritables prodromes d’une image renouvelée de la vie quotidienne, les premiers balbutiements d’une nouvelle discipline qui prendra par la suite le nom de design. L’adhésion de nombreux interprètes, de Padoue à Palerme, de Turin, Florence et Rome, qui donnèrent vie sur le plan pratique à une production multiforme toujours proche du savoir-faire artisanal de la fabrication, fut particulièrement animée.
Travail italien futuriste (début du XXe siècle)
Lampadaire
Estimation: 1500 / 2000 €
Le premier manifeste consacré au thème du mobilier, Il mobilio futurista. I mobili a sorpresa parlanti e paroliberi (Le mobilier futuriste. Les meubles à surprise parlants et parolibres), fut publié à Rome en 1920, mais le poète napolitain Francesco Cangiullo l’avait déjà écrit en 1916.
« Je ne comprends pas comment des gens du monde dit intellectuel peuvent encore vivre dans des appartements meublés dans le style rococo antihygiénique ou entourées de dorures anti- pathiques de style Louis [...] c’est l’environnement qui façonne l’homme », c’est ce que décla- rait Balla en 1920. Ce dernier fut l’un des premiers et des plus actifs interprètes des nouveaux mouvements stylistiques et, dans le cas du mobilier, il donna vie à des résultats constructifs originaux, par exemple en alternant des lignes sinueuses avec l’asymétrie géométrique des profils, le dynamisme abstrait des volumes avec l’exaltation des couleurs, toujours conformé- ment aux principes théorisés.
Ce seront ensuite ce que l’on appelle les Case d’Arte Futuriste (Maisons d’Art Futuristes), nées un peu partout en Italie, à interpréter d’une façon plus organique et fertile la poétique de la Reconstruction. En plus d’être la maison de l’artiste, les Case d’Arte furent des ateliers bouil- lonnants, vivants, fréquentés par de jeunes personnalités artistiques, toujours ouvertes à la nouveauté. C’est là que se réalisa et s’exalta la fusion tant recherchée entre l’art et la vie. Ces nouvelles réalités de production, bien qu’encore dans une dimension purement artisanale, donneront naissance à une multitude de nouveaux produits manufacturés, tout en cultivant l’espoir d’une affirmation prochaine dans le domaine de la production industrielle en série.
Travail italien futuriste (début du XXe siècle)
Canapé
Estimation : 2500 / 3500 €
Dans l’ordre chronologique, la Casa d’Arte Bragaglia, de Via Condotti à Rome, fut la première à être inaugurée, le 4 octobre 1918, par Anton Giulio Bragaglia avec une exposition consacrée à Giacomo Balla. Bien entendu, ce dernier aussi se consacra à la conception et à la fabrication
de mobilier dans sa maison-atelier, d’abord située en Via Porpora, puis, à partir de 1929, en Via Oslavia, toujours à Rome. La maison elle-même peut être considérée comme une œuvre d’art totale, on dirait presque le manifeste du nouveau tournant décoratif du Futurisme.
La Casa d’Arte de Fortunato Depero, installée définitivement à Rovereto en 1919, fut sans aucun doute la plus encline à la production en série. Un élément important du succès de son atelier fut la compétence promotionnelle de l’artiste, qui s’engagea personnellement dans la publicité ante litteram en parvenant ainsi à une reconnaissance considérable.
Toujours à Rome, entre 1918 et 1921, la Casa d’Arte Italiana (Maison d’Art Italien), instaurée par Enrico Prampolini et le critique Mario Recchi, fut active en tant que lieu de diffusion et d’exposition de l’art d’avant-garde. Prampolini conçut personnellement toute la décoration de la Casa d’Arte, en gardant un œil sur les expériences futuristes et l’autre sur celles du Construc- tivisme. Ce fut toujours à Rome qu’Ugo Giannattasio organisa une Casa d’Arte spécialisée dans les objets de mobilier et les scénographies, alors qu’à Florence, au début des années 1910, l’atelier de Thayaht fut actif.
À Bologne, la Casa d’Arte Tato, également connue sous le nom de Casa dei futuristi (Maison des futuristes), étant fréquentée par des artistes de toutes les écoles, prospéra. À Palerme, ce fut l’initiative et la capacité d’organisation de Pippo Rizzo à moderniser l’environnement sici- lien avec l’ouverture en 1925 de la Casa d’Arte Pippo Rizzo - Arti Decorative Futuriste (Maison d’Art Pippo Rizzo - Arts Décoratifs Futuristes). La production de la Casa d’Arte, au cours de ses années d’activité, de 1925 à 1930, fut vaste et variée ; l’artiste se distingua dans la création de «salons futuristes», de chambres à coucher, de vitrines d’exposition, de panneaux déco- ratifs, de dessins, d’affiches publicitaires, de réclames lumineuses, ainsi que de céramiques, de lampes, de tapisseries, de parasols, de couvre-lits, d’ornements en bois laqué et argent. Toujours à Palerme, Vittorio et Gigia Corona encouragèrent la production artisanale d’objets futuristes. Ainsi que Fedele Azari à Milan et Nicolaj Diulgheroff à Turin.
Travail italien futuriste (début du XXe siècle)
Table
Estimation : 2500 / 3500 €
Bref, une pluralité d’idées, de pro- jets concrets et de produits manu- facturés aux multiples facettes qui rendent certainement complexe l’attribution d’une collection de mobilier aussi évocatrice et ori- ginale que celle présentée ici. Les profils déchiquetés et les volumes asymétriques des meubles sug- gèrent une ascendance ramenant Depero à l’esprit, mais l’absence de signature et de marques bien définies empêche une restitution plus précise. Ceci n’ébranle pas la motivation de ceux qui, appré- ciant les recherches et les résultats extraordinaires de cette période, peuvent saisir l’opportunité d’une telle proposition.
Riccardo Zelatore