La boîte objet que nous présentons est une variante appartenant à la série la plus connue et la plus continue de l’œuvre de Joseph Cornell, la série des « Soap Bubble Set » souvent associée au surréalisme, comme le reste de son travail. Personnage réservé, ne quittant que rarement son domicile d’Utopia Parkway à New York, il s’évade à travers son imaginaire. Il se passionne pour la science qu’il étudie et pour la culture européenne. Autodidacte et pourtant étonnamment sophistiqué, Joseph Cornell fait partie des artistes qui cassent les codes de l’art en mêlant les techniques et en abolissant les distinctions entre les beaux-arts et les arts populaires. Par l’utilisation de matériaux trouvés, il définit un nouvel espace de création de la sculpture moderne. Son influence aura un impact important sur toute une nouvelle génération d’artistes comme Andy Warhol et Robert Rauschenberg, mais aussi sur les cinéastes expérimentaux et les écrivains comme Rudy Burckhardt ou Octavio Paz.
Cornell tire les ficelles du comportement humain en évoquant deux sujets émotionnellement forts, les jeux d’enfants et la collection. Aucun raisonnement pécunier n’entre dans sa réflexion: les objets sans utilité deviennent des fétiches inestimables. Ses boîtes au charme indescriptible sont de véritables cabinets de curiosité nostalgiques, des glorifications poétiques des petits objets, explorant une ironie romantique pourtant très terre à terre.
Il introduit la notion du temps écoulé, corrosif, grâce à des objets dont l’usure est évidente. Il se réfère ici au temps passé grâce aux coquillages vidés de leurs habitants, aux timbres-poste, incarnation d’une date figée. L’espace-boîte est donc aussi un espace de conservation, Cornell enferme le souvenir lui-même, ici sont enfermés des souvenirs d’enfance, mais sans révéler clairement son intention. Il propose ainsi un espace émotionnel dans lequel l’observateur peut faire des associations pertinentes pour lui-même et projeter ses souvenirs en fonction de ce que les objets lui évoquent. Les billes de verre en sont un exemple évident, mais d’autres objets de la boîte l’évoquent plus subtilement. Qui, enfant, n’a pas regardé les étoiles les yeux pleins d’admiration ?
L’ouvrage qui a le plus marqué Cornell est le livre de vulgarisation scientifique pour enfant rédigé par C. V. Boys, Soap Bubbles and the Forces Which Mould Them (Les bulles de savon et les forces qui les créent). L’auteur y incite les enfants à faire des expériences afin d’obtenir des bulles de savon de formes différentes, ovales, cylindriques, grâce à toute sorte de matériaux, des cercles métalliques, des verres à vin, des lanternes, des bougies, des fils de fer. Il y fait l’apologie de la science en mettant en exergue ses aspects souvent oubliés que sont sa beauté et sa magie.
Un autre ouvrage de vulgarisation scientifique impacte également le travail de Cornell. Il s’agit d’Astronomie populaire de Camille Flammarion illustrant les découvertes astronomiques à l’aide de cartes célestes et figures gravées. Elles sont pour Cornell dès sa première boîte en 1936 une inlassable source d’inspiration. Il met ainsi en place une technique plastique où une carte de la lune sert de fond à une boîte dans laquelle il placera divers objets qui font écho à cette illustration, comme ici, les planètes, les étoiles et les constellations sur les timbres collés au cylindre, le bois et les coquillages représentant la terre en opposition à la lune.
« C ́est un art à la fois subjectif et mathématique: méticuleux comme le dessin d ́un architecte, mais avec une précision dans l ́exécution et le détail, nourrie par le temps et menée à bien avec la complicité du Soleil, de la Lune, du Vent et des Étoiles. [...]
Lui seul sait pénétrer la sphère infinie d ́une bulle de savon, sans la troubler et sans pour autant s ́égarer ni perdre de vue son but.
En vérité, ses objets sont bien autre chose que des « jouets » pour grandes personnes, ce sont des jouets philosophiques, composés à la fois de l ́espace réel et du rêve le plus pur... »
Howard Hussey, New York City, 1980